Archives de décembre, 2013

Jardin magique

Mardi 31 décembre 2013

En souhaitant que 2014 nous permette de continuer à rêver de licornes blanches…

« Ondulations à la frange des eaux

bruissements sans traces

de longues caravanes feutrées,

en proie aux mirages.

Rosée au fil de l’herbe,

pâture

des licornes blanches. –

Encore des vagues.

Rite silencieux

des cercles centrifuges. »

Erika Vouk, Les poètes de la Méditerranée, anthologie, Gallimard « Poésie », p. 813-815

© Litera, © Slovene Writer’s Association ; trad. Barbara Poganik, Ludovic Janvier.


Le bassin aux citrons

Mardi 31 décembre 2013

Avant un nouveau repas de réveillon, quoi de mieux qu’une petite promenade au calme et au soleil pour se mettre en appétit ? Un peu de sérénité avant de changer d’année…

bassin aux citronniers, jardins de BoboliJardins de Boboli

(Florence, septembre 2013)


Promenade en barque

Lundi 30 décembre 2013

Little Venice ou Venise, Italie ou Angleterre, Calaferte nous fait encore hésiter. Le canal de verdure ombragé n’est alors pas forcément rempli d’eau sous nos pas…

« Tout au long de Little Venice

petit canal aux eaux tranquilles

avec son bassin et son île

les barques comme sur la glace

et nous embrassant debout contre les arbres

Ma mémoire s’endeuille

ma mémoire s’endort

il y avait alors

des friselis de feuilles

et de douces odeurs

Tout au long de Little Venice

des jours que le temps éfaufile

qui avaient ta forme gracile

indécis lentement s’effacent

mais nous nous embrassons toujours contre nos arbres

Ma mémoire s’endeuille

ma mémoire s’endort

il y avait alors

des friselis de feuilles

et de douces odeurs

Tu avais un gilet de soie et de velours »

Louis Calaferte, Londoniennes


Tunnel vert

Lundi 30 décembre 2013

tunnel de verdure dans les jardins de BoboliJardins de Boboli

(Florence, septembre 2013)


Filmer

Dimanche 29 décembre 2013

Parce que Monsieur Hulot et son vélo, parce que décors et mécaniques incroyables, parce que ce texte est plein de vie, aujourd’hui, je donne la parole à Jacques Demy :

« Pourquoi je filme ?

Parce que j’aime ça

Parce que ça bouge

Parce que ça vit

Parce que ça rit

Parce qu’au ciné

on est dans le noir

on est au chaud

entre un mec qui vous fait du genou

et une nana qui enlève le sien

derrière un génie aux cheveux ébouriffés

qui vous empêche de lire les sous-titres

Parce que ça danse

Parce que ça chante

Alors je plane

Parce que c’est beau

Parce que filmer c’est comme une femme

c’est comme un homme

ça vous écorche

c’est parfois moche

mais c’est bien quand même

parce que ça zoom

parce que ça travelling

parce que ça silence et moteur et coupez

parce qu’on rêve

à 24 images secondes

Et que par conséquent ça fonce dans la nuit

à 86 400 images à l’heure

et que le TGV en crève de jalousie

parce que c’est blanc

parce que c’est noir et bien d’autres choses encore

parce que j’aime ça

et que je ne sais rien faire d’autre. »

 

Jacques Demy

 


A vélo ?

Dimanche 29 décembre 2013

velo et cadres de lits métalliques entreposés dans une courArrière-cour, Lucca

(Italie, septembre 2013)


Incipit

Samedi 28 décembre 2013

L’étranger

« Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ?

Ton père, ta mère, ta sœur, ton frère ?

– Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.

– Tes amis ?

– Vous vous servez-là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.

– Ta patrie ?

–  J’ignore sous quelle latitude elle est située.

– La beauté ?

– Je l’aimerais volonté déesse et immortelle.

– L’or ?

– Je le hais comme vous haïssez Dieu.

– Eh ! Qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?

– J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages ! »

Charles Baudelaire, Poèmes en prose

Cité en incipit de Les merveilleux nuages, Françoise Sagan


Coupole meringuée

Samedi 28 décembre 2013

Coupole et campanile du duomo émergeant des nuages, vue depuis la terrasse du musée des officesCoupole du Duomo et campanile de Giotto vus depuis la terrasse du musée des Offices

(Florence, septembre 2013)


Pont-levis

Vendredi 27 décembre 2013

Retour vers les ciels d’Italie, mais du côté des îles, bien plus au sud que Florence, en compagnie du jeune narrateur d’Erri de Luca…

« En septembre, on peut avoir des jours de ciel descendu à terre. Le pont-levis de son château en l’air se baisse et, glissant le long d’un escalier bleu, le ciel vient se poser un moment au sol. A dix ans, j’arrivais à voir les marches carrées que je pouvais remonter du regard. Aujourd’hui, je me contente de les avoir vues et de croire qu’elle y sont toujours. Septembre est le mois des noces de la surface terrestre et de l’espace du dessus éclatant de lumière. Sur les terrasses étagées couvertes de vignes, les pêcheurs font les paysans et récoltent des grappes dans les paniers tressés par les femmes. Avant même de les presser, le jour de la vendange enivre les pieds nus entre les rangées au soleil et l’essaim des guêpes assoiffées. L’île en septembre est une vache à vin. »

 

Erri de Luca, Les poissons ne ferment pas les yeux, Gallimard, « Du monde entier », p. 84-87

Traduction de Danièle Valin.


Frise de ciel

Vendredi 27 décembre 2013

Jardins de Boboli, musée de la porcelaine

(Florence, septembre 2013)


Entrelacs

Jeudi 26 décembre 2013

Dans cet abécédaire, Anne Bertier joue avec les motifs en fer forgés de son balcon. Composés, décomposés, recomposés… C’est une merveille de poésie, pas seulement pour les petits !

« Qu’il est beau le B tout en boucle du balcon »

 (…)

« Dans le lagon, ni libellules, ni lentilles d’eau, juste des longues lianes enlacées »

Anne Bertier, Rêve-moi une lettre, MeMo


Arabesques

Jeudi 26 décembre 2013

Balustrade en ombre sur le ciment

Jardins de Boboli

(Florence, septembre 2013)


Silhouette ailée

Mercredi 25 décembre 2013

Non, il ne s’agit pas encore du génie de la Bastille, qui brille en haut de sa colonne ! Ce Noël est sous le signe d’un autre enfant volant, l’enchanteur et enchanté  Peter Pan, qui ravit les yeux et les oreilles quand il est revisité par Bob Wilson…

Joyeux Noël à tous, restez encore un peu enfant pour garder une pincée de cette magie des fêtes…

« L’automne a des ciseaux moutarde

sur ses longs jardins endormis

où l’éloquence babillarde

de quelques oiseaux dans leur nid

nous accompagne dans sa garde

jusqu’à l’ébauche de la nuit

Je ne t’enlace qu’à demi

et un peu comme par mégarde

car dans Kensington qui s’ennuie

notre ami Peter Pan regarde

(…) »

 

Louis Calaferte, Londoniennes


Angelot vole

Mercredi 25 décembre 2013

fontaine en contre-jour, cour du palazzo vecchio

Cour intérieure du Palazzo Vecchio

(Florence, septembre 2013, la nuit)


Lever de soleil

Mardi 24 décembre 2013

Bien que ce ne soit pas au sens strict, « la nuit la plus longue -puisque c’est fait, nous avons dépassé le solstice-, la nuit du réveillon, quand on guette le Père Noël, est bien une de celles que l’on attend avec excitation… L’image du jour célèbre un coucher de soleil. Cet extrait d’Erri de Luca s’attache, lui, au lever de la lumière sur la mer, vécu par le jeune héros autorisé à aller passer la nuit sur la barque d’un pêcheur.

Qu’entre les deux, vos fêtes soient illuminées et scintillent !

« Ma mère connaissait le pêcheur, les nuits calmes elle me laissait aller. Elle me donnait un pull en laine légère et brute qui me grattait. J’aidais aux rames pendant qu’il accrochait les appâts et les descendait un à un dans la mer. Une fois l’étendage terminé, on attendait. L’île était loin, un petit tas de lumières. Allongé à l’avant sur la corde de l’ancre, je regardais la nuit qui tournait sur ma tête. Mon dos oscillait doucement avec les vagues, ma poitrine se gonflait et se dégonflait sous le poids de l’air. Il descend d’une telle hauteur, d’un amas si profond d’obscurité, qu’il pèse sur les côtes. Des éclats tombent en flammes en s’éteignant avant de plonger. Mes yeux essaient de rester ouverts, mais l’air en chute les ferme. Je roulais dans un sommeil bref, interrompu par une secousse de la mer. Maintenant encore, dans les nuits allongées en plein air, je sens le poids de l’air dans ma respiration et une acupuncture d’étoiles sur ma peau.

  Des mots nocturnes avaient bien du mal à sortir. Le silence de l’homme dans la nuit était juste. Ni le bateau qui défilait à l’horizon toutes lumières muettes ni le gargarisme d’un bruit de rames à l’approche ne parvenaient à le gâcher. Dans le noir, un échange de salut avec voyelles seulement, car les consonnes ne servent pas en mer, l’air les avale. Ils connaissaient bien tout ce qui les entouraient, ils évoluaient avec une mémoire d’aveugle dans une pièce.

Puis tout doucement, une touche de gris décolorait le point d’horizon appelé orient. De là partait la débâcle de l’obscurité, la clarté s’élevait d’en bas, et lorsqu’on voyait nos mains dans me bateau, la récolte commençait. Une syllabe m’indiquait le changement de coups de rames. Le poisson capturait montait à bord, il tapait de la queue sur le bois pour dernière défense. Le pêcheur le saisissait par la tête, dégageait l’hameçon. Parfois, avalé jusqu’au fond de la gorge, il fallait alors couper le fil avec le couteau et laisser l’hameçon à l’intérieur.

Quand le soleil s’était entièrement glissé hors de la mer pour s’élever au-dessus du bateau, nous avions fini. Il prenait les rames à son tour pour rentrer plus vite. Je m’endormais à l’avant, mon maillot de corps sur la tête. »

Erri de Luca, Les poissons ne ferment pas les yeux, Gallimard, « Du monde entier », p. 45-47

Traduction de Danièle Valin.


En trois applats

Mardi 24 décembre 2013

Paysage à contre-jour, coucher de soleilCoucher de soleil depuis la piazza Michelangelo

(Florence, septembre 2013)


Encore des volets !

Lundi 23 décembre 2013

Ces persiennes multifonction à multiples charnières qui donnent un air ébouriffé aux façades italiennes se devaient d’être accompagnées de ce poème redécouvert dans Pièces, qui a le même côté facétieux (avec la langue).

LE VOLET, suivi de sa scholie

« Volet plein qui bat le mur, c’est un drôle d’oiseau qu’un volet. Qui ne s’envole mie. Et se désarticule-t-il ? Non. Il s’articule . Et crie… Par les gonds de son aile unique rectangulaire. Et s’assomme comme un battoir sur le mur.

Un drôle d’oiseau cloué. Cloué par son profil, ce qui est plus cruel ou qui sait ? Car il peut battre de l’aile. Et s’assommer à sa guise contre le mur. Faisant retentir l’air de ses cris et de ses coups de battoir.

Vlan, deux fois.

Mais quand il nous a assez fatigués, on le cloue alors grand ouvert ou tout à fait fermé. Alors s’établit le silence, et la bataille est finie : je ne vois plus rien à en dire.

Dieu merci, je ne suis donc pas sourd ! Quand j’ai ouvert mon volet ce matin, j’ai bien entendu son grincement, son cri et son coup de battoir. Et j’ai senti son poids.

Aujourd’hui, cela eut plus d’importance que la lumière délivrée et que l’apparition du monde extérieur, de tout le train des objets dans son flot.

D’autres jours, cela n’a aucune importance : lorsque je ne suis qu’un homme comme les autres et que lui, alors, n’est rigoureusement rien, pas même un volet.

Mais voici qu’aujourd’hui – et rendez-vous compte de ce qu’est aujourd’hui dans un texte de Francis Ponge  – voici donc qu’aujourd’hui, pour l’éternité, aujourd’hui dans l’éternité le volet aura grincé, aura crié, pesé, tourné sur ses gonds, avant d’être impatiemment rabattu contre cette page blanche.

Il aura suffit d’y penser ; ou, plus tôt encore, de l’écrire.

Stabat un volet.

Attaché au mur par chacun de ses deux a, de chaque côté de la fenêtre, à peu près perpendiculaire au mur.

Ça bat, ou plutôt stabat un volet.

Stabat et ça crie. Stabat et ça a crié. Stabat et ça grince et ça a crié un volet.

Stabat tout droit, dans la verticale absolue, tendu comme à deux mains placées l’une au-dessous de l’autre le fusil tendu par deux doigts ici, deux doigts plus haut, tenu tout près du corps, du mur, dans la position du présentez-armes en décomposant.

Et on peut le gifler, même le plus grand vent : Stabat.

Non, ce n’est pas le mouvement du pendule, car il y a deux attaches : beaucoup moins libre.

Attention ! J’atteins ici à quelque chose d’important concernant la liberté – quelle liberté ? – du pendule.  Un seul point d’attache, supérieur… et il est libre : de chercher son immobilité, son repos …

Mais le volet l’atteint beaucoup plus vite, et plus bruyamment !

(ce ne doit pas être tout à fait cela, mais je n’ai pas l’intention de m’y fatiguer les méninges.)

Le volet aussi me sert de nuage : il suffit à cacher le soleil.

Va donc, triste oiseau, crie et parle ! va, mon volet plein, bat le mur !

… Ho ! Ho ! mon volet, que fais-tu ?

Plein fermé, je n’y vois plus goutte. Grand ouvert, je ne te vois plus :

Volet plein ne se peut écrire

Volet plein naît écrit strié

Sur le lit de son auteur mort

Ou chacun veillant à le lire

Entre ses lignes voit le jour.

(signé à l’intérieur)

SCHOLIE. – Pour que le petit oracle qui termine ce poème perde bientôt – et quasi spontanément – de son caractère pathétique, il suffirait que (dans ses éditions classiques) il soit imprimé comme suit :

Volet plein ne se peut écrire

Volet plein naît écrit strié

Sur le lit de son auteur mort

Ou l’enfant qui veille à le lire

Entre ses lignes voit le jour

C’est en effet la seule façon intelligente de le comprendre (et de l’ écrire, dès que le livre est conçu). Mais enfin, il ne me fut pas donné ainsi. Il n’y avait pas tant de livre, dans cette chambre, que, jusqu’à nouvel ordre, ce LIT.

L’oracle y gagna-t-il en beauté ? peut-être (je n’en suis pas sûr…) Mais en ambiguïté et en cruauté, sûrement.

Pas de doute pourtant : fût-ce aux dépens de la beauté, il fallait devenir intelligent le plus tôt possible : c’est-à-dire plus modeste, on le voit.

On me dira qu’une modestie véritable (et la seule dignité  peut-être) aurait voulu que j’accomplisse le petit sacrifice de mes beautés sans le dire et ne montre que cette dernière version… mais sans doute vivons-nous dans une époque bien misérable (en fait de rhétorique), que je ne veuille priver personne de cette leçon, ni manquer d’abord de me la donner explicitement à moi-même.

… Et puis, suis-je tellement sûr, en définitive, d’avoir eu, de ce LIT, raison ? »

Francis Ponge, Pièces, Gallimard, « Poésie »


Persiennes

Lundi 23 décembre 2013

façade aux persiennes entrouvertes et en auventFlorence, septembre 2013


Animation des mots

Dimanche 22 décembre 2013

L’ombre

« Ma main près de moi me suffit

Je vais insuffler la vie à cette ombre

Ombre, ô mon amie sans défense

viens voir ton image dans le puits des mots. »

Hassan Najmi, Les poètes de la Méditerranée, anthologie, Gallimard « Poésie », p. 467

© Dâr al-Thaqâfa ; trad. Abdellatif Laabi, © La Différence


Le bon profil ?

Dimanche 22 décembre 2013

Copie du David de Michel Ange en contrejour sur ciel bleu

David

(Piazza Michelangelo, Florence, septembre 2013)


Retour d’excursion

Samedi 21 décembre 2013

Le plaisir de voyager, c’est aussi celui de rentrer poser ses valises pour se remémorer les couleurs, odeurs, saveurs de ces jours passés au loin…

« Ah ! Le bonheur après une journée dans une ville enfin visitée, de feuilleter, en fin d’après-midi, dans sa chambre d’hôtel, livres, cartes postales et prospectus destinés à sa bibliothèque, et qui donnent le sentiment réconfortant d’emporter quelques éléments matériels de ce qui est déjà du passé ! L’impression de sauvegarder quelques morceaux de temps envolés, alors que le reste, émotions et sensations de voyage, rester souvenirs volatils. »

Jacques Bonnet, Des bibliothèques pleines de fantômes


Encorbellement

Samedi 21 décembre 2013

Angle de rue, maison jaune en encorbellementFlorence, près du Duomo (septembre 2013)

 


Savoirs ou connaissance ?

Vendredi 20 décembre 2013

 Un peu en amont de l’année 2014 qui célèbrera le centenaire de la naissance de Marguerite Duras, je vous propose de découvrir ici un tout petit extrait du seul texte que l’écrivain ait écrit pour les enfants, Ah !  Ernesto. Cet album a été écrit juste après mai 68 mais publié en 1971 en France par Harlin Quist et François Ruy Vidal. Thierry Magnier réédite ce grand texte avec une nouvelle illustration signée Katy Couprie. Il a eu la bonne idée de proposer en même temps un album sur l’histoire de ce texte, Ah ! Duras. On y découvre par exemple que ce petit Ernesto préfigure celui de  La pluie d’été, et on nous rappelle qu’un film, Les enfants, avait été adapté de cette histoire.

«  Ernesto va à l’école pour la première fois.

Il revient. Il va tout droit trouver sa maman et lui déclare :

– Je ne retournerai plus à l’école.

La maman s’arrête d’éplucher une pomme de terre.

Elle le regarde.

– Pourquoi ? demande-t-elle

– Parce que ! … dit Ernesto. A l’école on m’apprend des choses que je ne sais pas.

– En voilà une autre ! dit la mère en reprenant sa pomme de terre.

Lorsque le papa d’Ernesto rentre de son travail, la maman le met au courant de la décision d’Ernesto.

– Tiens ! dit le père, c’est la meilleure ! …

(…) [suit une visite chez le maître d’école, une première fois, le lendemain, sans Ernesto, puis le surlendemain, en présence du petit garçon]

La maman d’Ernesto et Ernesto, eux, regardent le matériel scolaire : le pousse-pousse. Le train. La rose. Le  papillon. La terre…

… le Président. Le Nègre. Le Chinois. L’Homme.

– Alors ? conclut encore le maître. On refuse de s’instruire ?…

– Exact, dit Ernesto.

– Et pourquoi ? … Oui, pourquoi, enfant Ernesto ? …

– Ç’a assez duré, dit Ernesto.

Le maître ne se contient plus. Il crie :

– L’instruction est obligatoire.

– Pas partout, dit Ernesto.

– On est ici, crie plus fortement le maître. On est ici. On est ici et on est pas partout.

– Moi si, dit Ernesto.

Le maître pointe alors son doigt sur la photo du Président :

– Et lui alors ? … hurle le maître. Qui c’est, lui ? … Hein ? …

Ernesto regarde attentivement derrière ses lunettes mais il se trompe et voit le Noir :

– C’est un bonhomme, dit-il.

– Et ça ?… supplie la mère en montrant le papillon orange et bleu épinglé dans sa boîte vitrée, Ernestino, dis ce que c’est. Au moins ça.

– Un crime, répond Ernesto. C’est un crime ! »

Marguerite Duras, Ah ! Ernesto, Editions Harlin Quist – Ruy Vidal, 1971

Réédition chez Thierry Magnier, 2013


Alphabet

Vendredi 20 décembre 2013

La tipografica, enseigne dans une ruelle

Lucca, septembre 2013