A contre-jour
Lundi 6 janvier 2014
Un peu de ciel et un bout d’horizon avec les arbres de l’enfance, en ce jour de passage des rois mages…
« Sur le ciel bleu cru de Key Largo, le palétuvier se détachait en noir, à contre-jour, et sa forme desséchée, stéréotypée n’évoquait en rien un arbre mais plutôt un insecte infernal. Josée soupira, referma les yeux. Les vrais arbres étaient loin, à présent, et surtout le peuplier de jadis, ce peuplier isolé, au bas d’un champ, près de la maison. Elle s’étendait dessous, les pieds contre le tronc, elle regardait les centaines de petites feuilles agitées par le vent, pliant ensemble et très haut, la tête de l’arbre, toujours sur le point de s’envoler, semblait-il, dans sa minceur. Elle avait quel âge, quatorze, quinze ans ? Ou bien, elle s’appuyait contre lui, la tête entre les mains, la bouche contre l’écorce rugueuse, elle se chuchotait des promesses, elle respirait sa propre haleine dans ce trouble de l’adolescence, dans cet effroi du futur et dans cette assurance. »
Françoise Sagan, Les merveilleux nuages, Julliard, p. 13-14
Raconter
Dimanche 5 janvier 2014
La Fontebranda est une fontaine magique : l’été, elle parle. Après tout, les fontaines sont souvent des lieux fréquentés par les fées, tout le monde le sait. Pour moi, je n’ai rien entendu d’autre que le murmure de l’eau et la mémoire de Sainte Catherine de Sienne, mais cette petiote s’est chargée de les raconter, elle, les histoires. C’était à son papa et dans une autre langue, mais j’en ai profité ! Cela me ramène à Agnès Desarthe qui dit si bien le pouvoir de l’imagination dans les petites têtes :
« Ce que je préfère, avec les histoires, c’est me les raconter à moi-même. Je considère la rêverie comme une activité à part entière. Je la pratique avec assiduité et maniaquerie ; il me faut une certaine pose, une vue dégagée, une qualité particulière de brouhaha. L’endroit le plus propice est la voiture de mes parents. Nous roulons vers la campagne et je profite de mon droit d’aînesse sur ma petite sœur pour occuper la place près de la fenêtre. J’appuie mon front contre la vitre froide, je perds consciencieusement mes yeux dans le décor : rambarde, bas-côté, herbe pelée, talus, maisons, voies ferrées, ciel. J’enclenche le mécanisme. Je quitte l’habitacle de l’auto, je laisse ma famille derrière moi, je deviens le tout et le rien, l’univers et les personnages qui le peuplent. Une ruine au bord de l’autoroute A6 se change en château hanté, mon propre regard croisé dans le rétroviseur devient celui de la sirène, de la licorne, de la fée. »
Agnès Desarthe, Comment j’ai appris à lire, Stock, 2013, p. 23-24
A vos souhaits !
Samedi 4 janvier 2014
C’est de saison : quelques souhaits pour 2014… Enfin, un de ceux d’Apollinaire, mais qui peut convenir à bien des lecteurs : des livres, des amis, une maison, un amour…
Le chat
« Je souhaite dans ma maison :
Une femme ayant sa raison,
Un chat passant parmi les livres,
Des amis en toute saison
Sans lesquels je ne peux pas vivre. »
Guillaume Apollinaire, Le Bestiaire ou cortège d’Orphée
Givre
Vendredi 3 janvier 2014
Jardin dessiné sur la pierre, jardin souligné par les dentelles de glace… Il suffit de poser un regard différent sur les mosaïques qui nous entourent pour y voir des dentelles fines…
« Elle pénétra dans son jardin, le menton haut, coiffée d’une invisible couronne de sagesse. Le froid avait enveloppé chaque brin d’herbe, chaque feuille, chaque fleur tardive égarée dans l’hiver, d’une laque blanchâtre. Quelle minutie, pensa Frédelle. Pas une tige oubliée par le givre, pas une nervure, pas une foliole qui ne soit délicatement enveloppée de l’organza craquant du gel. Sous le pinceau presque horizontal du soleil blanc, les gouttelettes de rosée cristallisées fondaient en carillonnant, sans cesse ressoudées par la caresse du vent glacé qui disputait à l’imperceptible chaleur des ayons un règne dont personne ne se souciait. Elle approcha sa paume d’une rose éclose à contretemps et la retira aussitôt, craignant, par la tiédeur de la peau, de bouleverser la perfection de cette bataille spontanée dont elle ne pouvait être que la spectatrice. »
Agnès Desarthe, Le principe de Frédelle, L’Olivier, 2003, p. 157
Tapis de pierre
Vendredi 3 janvier 2014
Sol en marqueterie de marbre dans le baptistère San Giovani
(complexe du Duomo, Florence, septembre 2013)
Parole de pierre
Jeudi 2 janvier 2014
Voici ma voix…
« Voici ma voix
on l’écoute derrière les portes
les murailles
elle ne parle que pour les sourds
voici ma voix
comme le bruit de la mer dans les perles
ma voix pour chaque grain de sable
pour tous les doigts de la main
pour les soldats de plomb
voici ma voix
des larmes dans les yeux
ma voix noire blanche jaune
ma voix pour fixer le soleil
ma voix les yeux baissés
ma voix fièvre
ma voix hiver
ma voix silence »
Gaston Massat, Les voix du poème, Anthologie dirrigée par Christian Poslaniec et Bruno Doucey, Editions Bruno Doucey, 2013, p. 27
Pièges à loup, 1935
Trésors
Jeudi 2 janvier 2014
Sol ornementé de la cathédrale de Sienne, Santa Maria Assunta
(septembre 2013)
Poème d’herbes folles
Mercredi 1er janvier 2014
Temps allongé
« Herbe et camomille
sur la terre du dedans du dehors
verdure salutatoire
oracle qui étale
prophétie verte.
Une offre de choix cette refloraison
et cela paraît facile
d’envelopper la nudité.
Quelle panique cette poussée de fleurs
pour se trouver une place dans les arbres.
Herbe, camomille, fleurs sauvages
douceur sans profondeur comme du velours
ou un serment – ne pas piétiner.
D’énormes vagues de prairies
arrivent des campagnes profondes
les lis plongent
les fleurs de citronnier réapparaissent,
fleurs uniques,
vibrante traversée d’avril.
Le rouge des coquelicots
phare qui clignote.
D’énormes vagues de prairies
arrivent du large des campagnes.
Arrivent aussi des profondeurs du temps
herbe, camomille et fleurs uniques pour éclore
dans les tiroirs, fleurs sauvages
dans mes tiroirs sauvages.
Une merveille les choses enfermées là-dedans
échangées, à échanger, changées
battements d’ailes de mémoire
apostrophes là-dedans traînantes
chuchotis chuchotements : masques du silence
du silence sauvage,
et pousse noire de l’encre
des écrits, des désécrits, des réécrits
des écrits sauvages.
Des chronologies à longue figure
jeûneuses d’avenir devenues saintes
jettent la bure aux orties
et font fleurir un temps profane allongé,
temps fleur sauvage
des tiroirs sauvages.
Herbe grasse dans mes tiroirs
douceur sans profondeur comme du velours
ou dans un serment piétiné
et je vois qui se délasse et se prélasse
ta photo. »
Kiki Dimoula, Les poètes de la Méditerranée, anthologie, Gallimard « Poésie », p. 37-39
© Ikaros Publishing Compagny, © Arfuyen ; trad. Michel Volkovitch.
Jardin de mosaïque
Mercredi 1er janvier 2014
Que votre année soit aussi rutilante que cette mosaïque byzantine, dans un jardin aussi délicieux que ces frises végétales !
Mosaïque du dôme du baptistère San Giovani
(Florence, complexe du Duomo, septembre 2013)